Faut-il créer un nouveau métier, un nouveau statut, un nouvel art destiné aux engagés ? Cela nécessiterait naturellement des récompenses, trophées, prix, césars ou oscars.
« ENGAGÉ », le mot le plus employé quand il s’agit de désigner les invités des plateaux TV et des radios. Les présentateurs ne reçoivent plus une personnalité du monde du spectacle, des lettres ou du sport. Ils reçoivent un homme engagé ou une femme engagée. A croire que les salaires de certains journalistes sont indexés sur le nombre de fois où ils prononcent le mot « ENGAGÉ ».
Faut-il en déduire que la seule caractéristique qui justifie une invitation à la télévision soit d’être « ENGAGÉ » ? Si cette question reçoit une réponse positive, il convient de définir et récompenser la discipline.
Engagé, un terme militaire
Engagé s’associe à armée dans la mémoire des générations qui ont connu les guerres déclarées (différentes du terrorisme qui s’accompagne d’une dissimulation de l’ennemi) ou tout simplement le service national. L’engagé choisissait la carrière militaire tandis que l’appelé devait consacrer une période de sa vie à des obligations qui le rendraient aptes à la défense du pays si nécessaire.
L’engagé, c’était aussi le jeune courageux qui signait afin d’intégrer les paras, la marine, la légion ou une autre unité dans le but de protéger ses compatriotes ou plus largement le camp des défenseurs du monde libre. L’engagé ne cherchait ni les honneurs, ni la gloire, ni la promotion offerte par un média dans l’air du temps. L’engagé se mettait au service de sa patrie, de ses valeurs. Il risquait de perdre la vie loin des caméras et des micros. Les GI et les gars de tous les pays qui s’étaient engagés pour combattre les forces de l’Axe ne couraient pas après les journalistes. En ce temps-là, Jean Gabin voulait se battre comme les autres, le plus anonymement possible.
L’engagé dans l’armée fait partie des héros de la littérature. A titre d’exemple, dans la saga du Prince Éric écrite par Serge Dalens, Christian et Éric se sont connus chez les scouts. Encore très jeunes, ils n’imaginent pas rester à l’écart du conflit mondial lorsqu’il éclate. Ils s’engagent, renonçant à leur confort, à leurs projets personnels. Ils iront sur le front, ils se battront. Ils mourront ensemble dans un assaut contre l’envahisseur plutôt que renoncer. L’engagement correspond au respect d’une promesse, à l’honneur. Ils sauront se montrer dignes, comme nombre de gars confrontés au drame de la guerre.
L’engagé, un concurrent
Vous allez suivre le Tour de France, les 24 Heures du Mans, la Route du Rhum ? La liste des engagés vous permettra de savoir si votre sportif préféré fait partie des concurrents. Le numéro qu’il se verra attribuer contribuera à l’identifier et à le signaler à vos amis qui ne connaissent pas forcément la décoration de son matériel, de son équipement.
Le sport utilise volontiers des termes guerriers. Prendre le départ d’une compétition représente l’aboutissement d’un parcours du combattant. Certes, le sportif ne s’est pas exposé aux armes destructrices qui menacent la vie d’un soldat en opération. Il a tout de même souffert, parfois pris de gros risques, voire frôlé la mort. Il mérite le soutien et la reconnaissance. Il s’engage à tout donner dans le but d’honorer ses partenaires et ses supporters.
L’engagé médiatique, le chouchou des présentateurs du moment
Loin de moi l’idée de critiquer systématiquement les actions de personnes reconnues dans un domaine lorsqu’elles mettent leur célébrité au service d’une cause qui leur tient à cœur.
Bravo entre autres à Brigitte Bardot de défendre la cause animale !
J’avoue par contre une franche irritation quand j’entends certains présentateurs débuter toutes leurs interviews ou presque par l’engagement de l’invité. « Madame X, vous êtes une femme engagée ». « Monsieur Y, vous êtes un homme engagé ». Une sorte de marque de fabrique ? Bien sûr, chaque artiste, sportif, scientifique possède ses convictions. Il a le droit de les exprimer s’il le souhaite, d’espérer y sensibiliser d’autres personnes.
Toutefois, si des causes recueillent une adhésion universelle, d’autres ne font pas l’unanimité pour des raisons tenant à l’appréciation de leur priorité, de leur urgence. Certains engagements se révèlent même clivants, divisent les téléspectateurs, surtout quand ils se confondent avec les aspirations de politiques qui ne coïncident pas automatiquement avec celles de leurs concitoyens.
Des lors, la mise en avant des « ENGAGÉS » se heurtera à trois critiques :
- d’abord, les médias traiteront-ils avec la même honnêteté intellectuelle les « engagés » qui partagent leurs convictions et ceux qui ne soutiennent pas leurs favoris ? Les opposants au camp que défend le média seront-ils invités aussi souvent que leur actualité le mérite ?
- d’autre part, l’engagé invité sert-il sincèrement une cause ou utilise-t-il subtilement le faible du présentateur ? Ses conseillers auront forcément repéré qu’un engagement plaisant à celui qui l’invite garantira une interview promotionnelle et sympathique plutôt que des questions dérangeantes ? Si des invités demeurent sincères, d’autres ne suivront-ils pas l’appât d’une publicité personnelle bien éloignée de l’honneur d’un militaire ou de l’effort d’un sportif ?
- enfin et surtout, le bal des engagés plaisant à ces médias reste-t-il compatible avec une information normalement honnête à défaut d’atteindre une objectivité impossible ? Les « bons ENGAGÉS » reçus en priorité et traités avec déférence contribuent-ils, consciemment ou non, à un lobbying sournois de médias proches d’une tendance politique, d’une pensée souhaitée unique, supérieure et incontournable ?
Je sais qu’aujourd’hui toute critique des médias se heurte à des suspicions de théorie du complot qu’il faudrait ridiculiser, de propagation de Fake news, d’intentions peu honorables... Mais qui peut douter de l’influence des grandes chaines quand il s’agit de forger l’opinion, d’orienter les votes des populations ciblées ? Gare à la propagande dissimulée sous une apparence policée et bienveillante.
En ce qui me concerne, j’en ai franchement marre de cette obsession des présentateurs qui soumettent la légitimité de l’actualité de leurs invités au partage d’un engagement avec les convictions dont ils assurent la promotion sur leur temps d’antenne. Suis-je le seul à trouver cette tendance insupportable ? Je ne le crois pas. Plutôt que nous annoncer à chaque JT que l’invité est engagé, pourquoi ne pas suggérer aux présentateurs d’organiser chaque année un grand bal des engagés avec remise de trophées ?
QUELQUES LIENS
La réalité bien plus cynique que les fictions http://polarssportsetlegendes.over-blog.com/2017/02/le-bon-mechant-dans-les-fictions.html
La jalousie, ingrédient des bouillons de haine mortelle. Et parfois hélas le guide au moment d’élire le chef de classe au lycée... et après http://bit.ly/2oDlE0I
Le meilleur après le pire : un ouvrage sous les ailes de l’élégance à l’occasion d’un dimanche à Saint-Malo http://bit.ly/2itIWpe
Thierry Le Bras