Le VTT et le break s’étaient engagés à quelques secondes d’intervalle dans l’allée du parc de la propriété de Betton près de Rennes. Grégoire, le conducteur de la voiture, était en retard. Une faute lourde qui mettait la maîtresse de maison dans tous ses états.
- Position de soumission ! aboya-t-elle d’une voix sèche dès que son mari pénétra dans le hall d’entrée.
Grégoire s’agenouilla.
- Demandez pardon ! grogna-t-elle la bave aux lèvres.
Grégoire baissa la tête et la supplia de ne pas lui en vouloir.
Un adolescent de quinze ans suivait son père. Il s’agissait de David Sarel, le fils né de la première union de Grégoire avant qu’il se prenne dans les filets de Soizick Pierret, l’employée subalterne devenue maîtresse puis concubine avant d’épouser, la croqueuse de diamants.
C’était la première fois que Soizick lançait l’ordre de soumission devant David qui, il est vrai, ne voyait qu’occasionnellement le nouveau couple. La rage et le réflexe conditionné ôtaient toute prudence à la néo-bourgeoise. Le quart d’heure de retard de Grégoire appelait un châtiment sévère. Qu’avait-il fait ? Pourquoi Grégoire et David étaient-ils arrivés en même temps ? Le père aurait-il osé offrir un pot ou un cadeau à son fils ? Intolérable ! Grégoire ne devait jamais oublier que chaque centime dépensé était du pain arraché de sa gueule à elle. C’était ainsi qu’elle l’avait dressé, ce pauvre type.
De telles scènes survenaient régulièrement au sein du couple que Soizick Pierret - surnommée par David la morue sauce piquante - formait avec Grégoire Sarel. Car l’épouse vénérée ne respectait pas son homme. Rien ne touchait son cœur en béton armé. Grégoire, c’était un portefeuille sur pattes. Ni plus, ni moins. Elle l’appelait mon petit sou à la crème d’oseille. Il en riait, humilié, ulcéré, mais prêt à tout pour quémander une minuscule miette d’affection qui ne venait jamais. Et si Grégoire mécontentait la morue, s’il commettait quelque chose de grave comme remettre une tournée à quelqu’un qui lui avait payé un demi, la prédatrice le châtiait.
Selon la gravité de la faute, Pierret choisissait une sanction. La double gifle allait de soi. Les crachats aussi. Ils s’accompagnaient d’une interdiction de la toucher pendant plusieurs jours, de la condamnation à lui baiser les pieds… Dans les cas les plus inadmissibles, il était arrivé que Pierret balance un coup de pied dans les parties de l’homme d’affaires. Grégoire acceptait tout. Si les clients de ses agences immobilières et de ses sociétés de promotion se méfiaient tous de Soizick – une dangereuse mégère, personne ou presque n’imaginait ce qu’elle infligeait à celui qui lui vouait sa vie sans aucune réserve. A part bien sûr Valentine Sorbet, la confidente du monstre, une brave gourde qui fondait en larmes à chaque remarque désobligeante de sa bonne copine et lui servait de domestique sans gages depuis l’adolescence.
Si David ne se faisait guère d’illusions sur les sentiments de la marâtre envers son père ni sur ses mobiles lorsqu’elle avait entrepris de l’amener dans son lit, il ignorait encore qu’elle le battait.
Stupéfait, l’adolescent se demanda si les mots de la morue servaient de prémisses à un jeu sexuel. Pierret allait-elle laisser glisser sa robe sur des sous-vêtements en cuir noir ? Il savait que la gourgandine en pinçait pour Maurice, collaborateur préféré de son père. Elle avait déjà affiché sans complexes ses désirs en public. Après s’être offerte au fils spirituel, la catin espérait-elle déguster de la chair fraiche en jouant avec le fils biologique de son bienfaiteur ?
Non. Des gifles claquèrent sur les joues d’un Grégoire désolé et soumis qui implorait le pardon de sa bien-aimée, indifférent à la révolte que la scène inspirait à David. Un crachat souilla la chemise blanche de l’amoureux bafoué.
David serra les poings. Il se mit en garde, prêt à frapper la morue de toutes ses forces. C’était déjà un garçon bien bâti que rien n’effrayait. Il était comme possédé, avait envie d’avancer, de boxer, de faire mal, de détruire, de transformer la morue en hachis. Pierret n’était pas une femme. D’ailleurs, il l’avait toujours trouvée masculine. Cette créature était un suppôt de Satan, pas un être humain. La harpie pressentit une volée mémorable. Grégoire ne parviendrait pas à arrêter son fils. Elle avait son ticket pour l’hosto... Les yeux marron de son ennemi lançaient des éclairs de haine meurtrière. Avec ses cheveux bruns et ses lèvres serrées, il lui fit songer à un boxeur prêt à cogner avec fureur jusqu’à ce que son adversaire s’écroule sur le tapis, KO pour le compte. Pire peut-être. La morue entrevit la mort. Elle blêmit.
- Pour cette fois, vous êtes pardonné ! lança-t-elle prestement à son mari après avoir reculé de deux mètres.
La morue et Grégoire se vouvoyaient. Elle ne tolérerait jamais le tutoiement entre eux. Par ce mode de communication, elle maintenait une distance à laquelle elle tenait comme à la prunelle de ses yeux. D’accord, elle couchait. Il fallait bien consentir quelques sacrifices pour s’accaparer le pognon du roi de l’immobilier. Mais pas question de laisser place à la moindre tendresse.
- Question de principes ! se vantait elle à Valentine Sorbet.
Grégoire ne bougea pas. Toujours agenouillé, il lança un regard misérable à l’objet de chaque battement de son cœur. David observa que des larmes coulaient sur ses joues. Il avança vers Pierret. Ses envies de meurtre ne le quittaient pas. La morue recula encore d’un pas, terrifiée.
- Vous êtes pardonné, répéta-t-elle d’une voix devenue tremblante. Relevez-vous maintenant. Mais relevez-vous, bon dieu !
Tête basse, Grégoire se remit sur ses pieds. La morue pleurnicha en marmonnant qu’il fallait bien qu’elle impose une discipline à son mari, que c’était pour son bien, qu’elle préférerait ne pas avoir à faire ça. David s’éclipsa et remonta sur son VTT. Son père ne fit pas mine de le retenir. Grégoire ne pensait qu’à sécher les larmes de crocodile de sa petite Soizick chérie, reptile sorti des entrailles du diable. L’adolescent quant à lui ne se serait pas senti capable de rester déjeuner avec ses hôtes comme si rien ne s’était passé. De toute façon, il savait très bien qu’il n’avait plus rien à faire avec cette branche de sa famille. Il n’estimait plus son père. Il se souvint que Grégoire ne l’avait jamais défendu contre rien ni personne. Il comptait pour du beurre. Dès qu’il serait majeur, il éviterait les corvées des sournoises invitations dominicales. L’incident du jour avait encore attisé la haine mortelle qui opposait David Sarel et Soizick Pierret. Une haine de fauves, agissante, qui durerait jusqu’à la mort du perdant.
QUELQUES LIENS A SUIVRE
En tant qu’auteur, je suis en quelque sorte le biographe de David Sarel. Il vit dans un monde parallèle - comme tous les personnages de fiction - et il m’autorise à raconter des épisodes survenus à diverses époques de son existence. Dans quelques jours, la version électronique du PACTE DU TRICHEUR, un polar jeunesse teinté de fantastique sur fond de rallye, sera disponible.
NOTE MODIFIÉE LE 1er juillet 2016
LE PACTE DU TRICHEUR est désormais disponible ICI http://amzn.to/1jAhsoF
Angoisse au bord de la piste http://0z.fr/U10ZB
Première sortie de piste pour Ronan http://bit.ly/1TPtP0s
le temps passe ; retrouvez une histoire humoristique où Éric, un garçon qui deviendra quelques années plus tard le parrain de David, est encore à l’école primaire et se montre turbulent le jeudi…
Les pilotes automobiles ont tout des héros positifs de fiction ; l’exemple de Yoann Bonato, un des meilleurs rallymen français :
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Thierry Le Bras