Juillet 2018. Vague de panique chez les retraités. Déjà maltraités par un pouvoir qui s’en prend à leur pouvoir d’achat, les seniors craignent désormais pour les pensions de réversion. Certains pensent au suicide. D’autres se disent qu’un petit meurtre pourrait les sauver. Enfin, tant qu’il est encore temps...
Mercredi 25 juillet, 12 heures 40... Plus que trois jours avant les vacances.
- Madame Farcy voudra te voir à la rentrée, Dan. Elle prévoit d’entreprendre une nouvelle activité, la suppression expresse de retraités afin que les réversions des retraites de leurs conjoints ne puissent pas être remises en cause par le futur régime des retraites.
Quelques heures plus tôt, Maître Richard Grandel, avocat au Havre, imaginait naïvement qu’il ne restait que quelques dossiers classiques à boucler avant de déguster le premier plateau de fruits de mer du séjour morbihannais avec sa femme et les amis qui partageraient leur villégiature. Il avait hâte de charger les bagages dans son Alfa Romeo Stelvio bleu métal et de prendre la route, direction Le Magouër, en face d’Étel. Pas la peine de descendre jusqu’à la Méditerranée cet été. Le beau temps généralisé transformait la Bretagne en paradis. Il se sentait porté par une vague d’insouciance en attendant celles de la côte atlantique.
Dan, pour les clients maître Daniel Meunier, fait partie de ses plus vieux amis. Inséparables depuis le collège, ils ont suivi les mêmes études, pratiqué les mêmes sports. A la fin de leurs années de droit, Richard a choisi de devenir avocat. Dan est entré dans un cabinet de conseillers fiscaux. Au moment de la fusion des professions juridiques en 1992, ils se sont associés, rationnalisant ainsi l’équipe complémentaire dans laquelle ils avaient entraîné leurs cabinets respectifs. Négociation de contrats, ventes, fusions de sociétés, contentieux, infractions routières ou autres, optimisation fiscale, gestion des différends avec l’administration, destruction des montages sournois destinés à spolier des héritiers légitimes, Richard, Dan et leurs associés savent répondre à tous les besoins des clients. Presque tous...
Le problème de madame Hermeline Farcy, le premier rendez-vous de la journée, ne poserait pas de grosses difficultés techniques. La restauratrice cuisine des recettes exclusivement à base d’andouille dans un petit local du centre-ville. Madame Farcy a reçu une offre d’achat intéressante de son voisin qui souhaite agrandir la boutique franchisée dans laquelle il vend du chocolat. Elle souhaite s’en entretenir avec son conseiller. A bientôt soixante-dix ans, l’avocat ne s’attendait pas à se trouver confronté à un de ces scenarii où la réalité dépasse la fiction, une affaire qui laissait redouter la commission prochaine d’une multitude de crimes.
***
Madame Hermeline Farcy avait rendez-vous à neuf heures trente. Elle arriva à l’heure et aborda très vite le cœur du problème.
— Mon fonds ne rapporte pas grand-chose. Je survis parce que je touche une petite prestation compensatoire de mon ex-mari. Mais qu’est-ce que j'vais faire après ? Et qu’est-ce que j'vais devenir à la retraite ?
Richard connaît la situation de sa cliente. Il a plaidé son divorce en 2012. Hermeline avait cinquante-cinq ans. Elle n’a pas eu de vraie carrière professionnelle, ayant alterné les périodes où elle s’occupait des enfants et de la comptabilité de son mari, commerçant ambulant, et celles où elle l’aidait sur les marchés sans statut protecteur. Puis un jour, une employée saisonnière a pris sa place... Hermeline est partie avec une somme modeste - tout de suite investie dans l’achat de son petit restaurant d’andouille - et une maigre prestation compensatoire. A la retraite, elle fera partie des quatre-vingt-dix-pour-cent de femmes condamnées à la misère si la prestation s’éteint et qu’aucune réversion n’est virée.
— J’ai entendu que le gouvernement, il allait tout remettre à plat au sujet des retraites et des réversions, s’inquiète-t-elle. Mon ex a pris sa retraite au printemps. S’il meurt avant moi, j’aurai droit à une partie de sa pension. En gros, moi et sa femme actuelle, nous toucherons au total environ la moitié d’c’qu’il perçoit. La part de chacune sera fixée au prorata des années de mariage avec lui. Enfin, si j’ai ben compris c’qui est dans le journal Les droits du senior.
— En effet, sous réserve de conditions de ressources. Compte tenu de vos revenus, la réversion ne devrait pas poser de problème.
— Ouais, sauf si la bande au pouvoir, elle supprime la réversion.
— Je ne saurais prédire les futures lois qui seront votées, admet Richard. Il semble que le premier ministre ait affirmé que les personnes touchant déjà une réversion ne verraient pas leur situation modifiée. Certains commentateurs ont fait observer qu’il s’était bien gardé d’aborder la question des bénéficiaires futurs.
— Mon ex faisant partie des retraités actuellement, j’ai intérêt à c’qu’il passe l’arme à gauche le plus vite possible de façon à c’que j’aie la réversion avant que la loi change, déduit Hermeline. En somme, le premier ministre appelle les femmes qui veulent protéger leur avenir au meurtre. Celles dans ma situation, et puis celles dont les maris ont déjà pris leur retraite et qui auront besoin de la réversion s’ils meurent avant elles. Avec les réversions en danger, j'vous prédis une vague d’assassinats sans précédent chez les seniors, maître. Des centaines de milliers en quelques semaines, vous verrez. Certaines tueuses seront prises. Les avocats vont se frotter les mains.
— Quand même pas, proteste Richard. Les français sont des moutons. Peu passeront à l’acte. D’autant que si votre prédiction se réalise, les dossiers seront difficiles à plaider et les avocats ne sortiront pas facilement leurs clients du pétrin. Les assassinats motivés par des intérêts pécuniaires ne plaisent pas beaucoup aux jurés d’assises.
Hermeline Farcy se gratte la tête et se ravise.
— Si ça s’trouve, peu de meurtrières iront en taule. Je vous l’dis, moi. Vu que le pouvoir, il aime pas les vieux, la plupart des tueuses passeront à travers les mailles du filet. Plus il meurt de retraités, moins ça fera d’retraites à verser, de places d’Ephad à créer, de personnes en état de dépendance à assumer, de malades à soigner. Même s’il reste une réversion, elle représente moins que la retraite de base de toute façon. Donc le gouvernement est gagnant si les femmes tuent leurs maris retraités. Et hop, on les encourage en menaçant de supprimer les réversions pas encore en route. Vous verrez si j‘ai pas raison.
Richard soupire. A-t-il raison, lui, de continuer à travailler et d’écouter les histoires sordides des clients ? Il a déjà levé le pied. Financièrement, il pourrait prendre une retraite complète et surtout bien méritée. Il ne se fait plus d’illusions sur la loyauté des clients, les solutions que le droit apporte aux conflits, le système judiciaire en général. Seulement, il n’arrive pas à décrocher. Il reste à l’ancien pilote automobile amateur qu’il fut longtemps un goût de la compétition qui le pousse à poursuivre encore un peu la course d’endurance professionnelle...
— Je me demande si j'devrais pas supprimer mon ex tant que j'peux encore prétendre à la réversion, reprend Hermeline. Vous qui avez dû voir des quantités de meurtres, vous n’auriez pas une idée, maître ? De toute façon, z’êtes tenu au secret professionnel comme un curé. Vous avez pas le droit d’me dénoncer.
— Vous oubliez un détail, chère madame.
— Lequel ? Ah oui, vous verser des honoraires pour m’expliquer comment faire. Combien ? J’ai de tout p’tits moyens.
— Non. Je ne suis pas tueur à gages et je ne tiens pas à être soupçonné de complicité d’assassinat à l’approche de ma propre retraite qu’il faudra bien que je me résigne à prendre un de ces jours. Je voulais juste préciser que si je suis appelé à suivre ou simplement connaître une affaire en ma qualité d’avocat, c’est que le crime n’était pas parfait et que son auteur n’a pas échappé aux poursuites.
— C’est vrai ça, bordel. Un avocat ne sait pas forcément mijoter la recette du crime parfait. Vers qui se tourner quand on veut se débarrasser de quelqu’un pour des bons motifs ?
— Je ne sais pas. Je doute que la réponse se trouve dans les pages jaunes ou dans un guide style L’avocat chez vous
— D’toute façon, il faut trouver une solution. Les exécutions destinées à s’assurer le maintien des pensions de réversion représentent un super marché. Pourquoi pas un nouveau business si j’cède mon restaurant ? Jusqu’à maintenant, j’ai vendu de l’andouille fumée. Bientôt, je vais fumer des andouilles.
La consultation reprit sa trajectoire initiale sans déraper. Il fut question de vente du restaurant à thème basé sur les recettes d’andouille. Au moment de prendre congé, Hermeline Farcy prononça une phrase lourde de sous-entendus.
— Au revoir maître. Profitez bien de vos vacances. Au retour, je vous reverrai pour la vente du fonds. Moi, j’suis pas une andouille, j’passerai pas aux assises. Prévenez votre associé. J’aurai besoin de lui pour les questions fiscales sur mes futurs revenus. Si une idée lui vient, j’suis preneuse.
— Si vous pensez à ce que je crois, n’oubliez pas un facteur, chère madame.
— Quoi ?
— Les promesses n’engagent que ceux qui les croient. L’intention déclarée d’un ministre quant à la préservation des réversions acquises n’a pas force de loi. Qui sait si les éventuels meurtres commis dans le souci de bénéficier d’une réversion avant un nouveau régime des retraites ne se révéleront pas inutiles ? Imaginez que finalement, les modifications s’appliquent à toutes les prestations à compter d’une date donnée, même si la réversion avait débuté sous le régime actuel. Combien d’assassinats auraient été commis pour rien ? Et vous savez comment sont les gens, ingrats, radins, d’une mauvaise foi totale. Les clients de prestations de conseil en assassinat seraient bien capables de venir réclamer le remboursement de ce qu’ils ont versé puisqu’au final, la suppression du conjoint ne servirait plus à rien.
Hermeline Farcy émit une moue de déception puis sortit du bureau en se grattant la tête...
***
Dan connaît madame Farcy. A l’ouverture de son restaurant à thème andouille, elle lui avait demandé s’il ne serait pas judicieux de monter une société domiciliée à Guernesey ou au Delaware afin de ne pas payer d’impôts. Elle avait entendu dire sur le marché que des milliardaires faisaient ça et qu’ils roulaient le fisc dans la farine. Il avait répondu que les montages « usines à gaz » coûtaient cher et que la taille de son affaire ne justifiait pas l’investissement. Un jour, peut-être, si elle ouvrait des restaurants d’andouille dans le monde entier, il serait temps d’y réfléchir. Pour l’heure, la mise en œuvre de l’idée ingénieuse s’avérerait prématurée...
— Ne me dis pas que notre brave Hermeline se prépare à couper les retraités en rondelles dans le seul but d’accélérer le versement des pensions de réversion ? demande Dan à son associé. Tu me fais marcher.
— Je crains que le projet la tente beaucoup, répond Richard avant de rapporter l’intégralité de ses échanges avec la restauratrice.
— Effets pervers d’une législation scélérate, constate Dan. Un pouvoir injuste engendre des monstruosités. Au fond, je ne serais pas si surpris que la prédiction de notre cliente se réalise. Les gens sont tellement intéressés.
— Encore heureux que nos épouses aient droit à des retraites personnelles assez conséquentes pour ne pas céder aux offres de services que notre chère cliente pourrait leur faire histoire de bien démarrer sa petite entreprise, plaisante Richard.
— Nous avons connu d’autres tempêtes, se souvient Dan. La terreur des patrons en 1981. Rappelle-toi celui qui voulait nous voir tous les deux d’urgence et qui nous a invités à dîner pour nous demander s’il fallait qu’il vende tout de suite sa Jaguar et la Triumph de sa femme...
— Et plus récemment en 2012, ajoute Richard. Un traumatisme moindre dans le grand public mais une angoisse encore plus profonde dans les milieux économiques. Jamais nous n’avons organisé autant de fuites à l’étranger.
— Certains pensent que les avocats mangent à tous les râteliers et que le racket étatique nous profite autant que le crime organisé.
— Ils oublient que nous sommes rackettés au même titre que les autres et qu’en plus, nous passons un temps considérable à apprendre de nouvelles législations pas très claires, pleines de pièges, incertaines car mal rédigées...
— Pas faux, soupire Dan. S’occuper de droit et de fiscalité, c’est marcher dans un champ de mines. Tu vas me couper l’appétit.
— Ce serait dommage. Laissons-nous tenter par les suggestions du chef. Les Huîtres chaudes à l’andouille de Vire et blancs de poireaux doivent se laisser déguster.
— En effet. Espérons que nos gouvernants et notre cliente aient plus de QI que les huîtres...
La patronne vient prendre la commande. Les deux amis optent pour des araignées farcies à la mode Mère Poignard après les huîtres.
— Excellent choix, approuve la maîtresse des lieux. Cette recette est une vraie tuerie. Voulez-vous une coupe de Veuve-Clicquot en apéritif ? C’est la maison qui offre.
Trois minutes plus tard, Richard et Dan trinquent au Veuve- Clicquot à la santé des retraités en danger...
QUELQUES LIENS
Marâtres, arnaques et petits meurtres http://polarssportsetlegendes.over-blog.com/article-maratres-detournements-et-petits-meurtres-110748178.html
DESIGNMOTEUR présente l’Alfa Romeo Stelvio, la voiture de Richard dans ce scénario https://gotmdm.com/driving/2018/04/alfa-romeo-stelvio-2-0t-280-ch-q4-super-premier-suv-de-marque-italienne/
Drogués de sport : un avocat, un rallye, des clients surprenants croisés à la fin d’un rallye http://bit.ly/1lEpd2a
La marâtre aimait trop la galette http://polarssportsetlegendes.over—blog.com/2016/01/la—maratre-aimait-trop-la-galette.html
Écrire, c’est raconter des histoires, toutes sortes d’histoires, vraies ou fictives http://polarssportsetlegendes.over-blog.com/2017/09/ecrire-c-est-raconter-des-histoires.html
Thierry Le Bras